Non-lieux - Texte de Marie Maertens


Solo show 01/12/2023 > 13/01/2024
Strouk Gallery - Paris (France)






FRA.Pour sa deuxième exposition à la Galerie Strouk, Valentin van der Meulen a choisi le titre de « Non-lieux », en référence à Marc Augé. L’ethnologue et anthropologue associait ce concept à la « surmodernité », soit la surabondance événementielle, spatiale et l’individualisation des références. Une relecture d’autant plus pertinente quand l’artiste donne à voir des œuvres inédites, produites après avoir choisi des clichés dans l’avalanche d’images disponibles sur internet, remettant en scène une nouvelle forme de société du spectacle.


A force d’être reproduite, standardisée, puis déshabillée de son contexte d’origine, l’image acquêterait-elle un autre statut ? Si elle a perdu depuis longtemps sa seule fonction de représentation, qu’a-t-elle acquis en échange ? Espace de projection infini, qui la rend parfois abstraite même quand un élément y figure, elle prolonge pour Valentin van der Meulen, cette réflexion sur les non-lieux. Elle gagne en dimension spatiale, notamment depuis l’arrivée des réalités virtuelles et autres intelligences artificielles, même s’il creuse ce propos avec le dessin, à qui il confère un statut d’ordre pictural et sculptural. Le travail commence par le choix du sujet en ligne, dont l’un des thèmes pourrait se résumer ici aux héros passés à côté de l’histoire. Telle hôtesse de l’air qui aurait sauvé plus de 350 passagers lors d’une attaque terroriste. Mais qui se souvient de son nom ? Telles maîtresses d’école russes qui auraient critiqué la guerre menée actuellement par leur pays et auraient été discrètement citées dans l’actualité, avant de disparaître dans la houle des informations continuellement brassées en ligne. Chacun se retrouve ensuite noyé au sein d’algorithmes, faisant des liens aléatoires menant à d’autres images… Leurs noms seront tantôt associés à d’autres propos ou à des figures n’ayant rien à voir avec leurs récits. La fabrication de vrais ou de faux souvenirs peut commencer. Sans afficher un protocole précis, Valentin van der Meulen se laisse happer par ses recherches, puis affirme des choix volontairement aléatoires. Un œil… une bouche… une chevelure… un sujet… un sentiment qui naît devant une image… vont le séduire pour reproduire l’existant.


Accentuant la tautologie, il va reconstruire, notamment en dix images du même format, ces bribes de récit, dont le rendu ne sera jamais tout à fait le même d’une feuille à l’autre. En les réalisant, il s’interroge sur ce qui l’y attira et la relation entre le fusain et la photographie. Il cherche ce point de tension, entre la véracité et ce qu’il nomme « la qualité d’images ». Il teste une forme de résistance. Il se laisse aller au plaisir d’accentuer certains éléments, d’en diminuer d’autres. De préciser ou de rendre vaporeux. De jouer sur la définition du mot « identique ». De s’éloigner de son sujet, tout en l’affichant en grand format. La répétition d’un geste, et chacun peut en faire l’expérience, nous fait rentrer dans une forme d’automatisme ou de méditation active. Chez Valentin van der Meulen, elle va rendre plus dynamique son sujet, ce que l’on voit d’autant plus quand il nous livre, presque à l’identique, un Men in the Cities inspiré de Robert Longo. Évocation de la posture du parfait new-yorkais affichant ses performances capitalistes, il se réjouit de ces années 1980, qui ne cessent de nous fasciner. Pour l’artiste, le dessin est loin d’être ce médium de petit format réalisé dans un coin de l’atelier. Avec entrain, il mêle crayon, pierre noire, gomme et fusain pour « sculpter le travail ». Il œuvre par couches successives. Il « architecture » afin de donner profondeur, surface et espace au sein de la feuille, mais aussi de permettre au regard du spectateur de sillonner dans le dessin. Si l’une de ses séries était constituée de traits au fusain, enrichis d’aplats de couleurs, il va insuffler pour cette nouvelle exposition un geste presque plus lyrique. C’est également une réflexion « sur l’incapacité à représenter une image, elle-même, représentation de la réalité… ».


Le réel est l’autre sujet prégnant qui est développé ici, par des extraits d’images plutôt séductrices, douces ou attirantes. Valentin van der Meulen précisera que ces bouches gourmandes sont toutes issues de selfies de femmes. Qu’en les figurant, il s’interroge sur sa légitimé, en tant qu’artiste masculin, à reproduire ces clichés et cette réappropriation du corps de l’autre. Mais aussi sur ces revendications féministes nées dans le années 1960 et prenant ces dernières années des attitudes particulièrement sexuelles et sexy… Reproduire un sujet permet de le creuser, comme une conversation interrompue, puis reprise. Comment, en détournant l’évidence, peut-on apporter d’autres points de vue ? Aime-t-on les femmes objet ? Les femmes revendicatrices ? Ou les deux selon les moments ?... On saisit que l’artiste ait admiré, au départ, le travail de Gérard Richter, interrogeant le statut de l’image, autant à l’ère de l’hyperréalisme que du geste pictural affirmé. Qu’il soit toujours intéressé par la question de la critique du médium d’un Rudolf Stingel. Qu’il se soit fasciné pour ce mouvement de la Picture génération qui était particulièrement marquée par la prolifération du langage publicitaire des années 1970 et 1980. De là, il n’y a qu’un pas vers le Pop Art, le Nouveau Réalisme, l’affichisme ou autre forme d’approprionisme. D’ailleurs, derrière ces images à l’apparence lisse ou duveteuse et ces représentations qui nous sont très familières, se dissimule plus ou moins un propos politique ou sociétal. L’artiste ne nie pas une volonté de revendication, qui est accentuée par un accrochage évoquant les panneaux d’affichage. Tout en expansant son médium vers l’objet et l’installation, il prend la liberté pour donner un caractère plus engagé à son travail. Un peu à la manière du maquillage ou du masquage qui permet de dissimuler, puis d’afficher de véritables intentions. Il active son message. Il rentre dans une forme de fluidité du geste et de la pensée et fait le parallèle avec les flux ininterrompus de nos ordinateurs. S’il s’est aujourd’hui totalement dégagé d’une quelconque influence de maîtres potentiels, il revient toujours à cette question fondamentale : « Que signifie dessiner un sujet ? ». Alors à la fin, après avoir regardé ces représentations au fort pouvoir fictionnel, dont l’usage premier a été effacé, il s’en dégage une lecture adoucie et, peut-être, sentimentalisée de ces histoires oubliées et transformées…


Marie Maertens
Novembre 2023
Curatrice indépendante, critique d’art et journaliste










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