Résidence Saint-Ange - Duo show -
Texte d’Isabelle Bernini


Résidence 01/02/2023 > 30/04/2023
Seyssin (France)

Duo show 14/12/2023 > 23/12/2023
Ancien Musée de la Peinture - Grenoble (France)






FRA.Dans un monde où la culture visuelle est toujours plus forte, l’image demeure un moyen de capturer
l’âme d’une époque, elle est devenue son écriture, son mode d’expression ultime et démocratique, apte à
témoigner des causes les plus nobles comme des plus futiles. Notre civilisation lui voue un culte toujours
renouvelé ; et si la production d’images ne fait que s’amplifier, sa diffusion est devenue un enjeu symbolique
tout aussi important.
L’image comme document est ainsi la source de l’oeuvre graphique de Valentin van der Meulen. Comme pour
analyser ce que racontent les images du rapport entre le photographié et la vérité, Valentin van der Meulen
reproduit en dessin de grand format des images captées par son appareil photo, trouvées ou issues de la
presse ou d’Internet. Le dessin vient ajouter une couche supplémentaire au réel troublé, évoqué, suggéré de
l’image – elle-même de nature d’empreinte d’un réel qui s’éloigne toujours davantage. Réalisé sur papier puis
contrecollé sur bois, le dessin s’épaissit, il prend corps. Valentin van der Meulen réexamine le rôle de l’image
photographique dans le flux médiatique de la culture contemporaine, remettant en question son ambivalence
en tant que document d’histoire. Car si l’image couvre le réel – au sens journalistique du terme – elle le
recouvre aussi (par le regard de celui qui l’a captée, par le sous-texte qui l’accompagne parfois, par son support
de diffusion qui l’oriente…).


Par sa démarche, la mise à distance opère, faisant de l’image un objet dessiné, physique. Néanmoins l’artiste va
encore plus loin dans son exploration. Promenant son regard à l’intérieur, il en extrait des cadrages, isole des
fragments qui redeviennent des bribes d’un récit épars. Par son geste de découpe à la fois radical et presque
hasardeux, il recréé des contours, délimitant d’autres frontières entre la représentation et l’absence d’image.
Ne laissant que trop peu d’indices visuels pour en déterminer la source, il fait dériver ses significations. Morcelé
par le cadrage, l’individu, le sujet photographié à l’origine, devient d’autant plus anonyme ou indéterminé. Des
parties du corps se transforment en paysages incertains. Des bribes de mots ou expression se laissent à peine
saisir.
S’il emprunte au principe du cut-up, du collage, du dédoublement, de la division, ou du recouvrement, c’est
quasiment à la manière d’un éditeur que Valentin van der Meulen redéploie son travail dans l’espace. Par un
principe proche de la translation, le visuel fragmenté se déporte sur une autre surface, se répercute dans un
autre champ.
Les images, ainsi tronquées et démultipliées, se délestent de leur potentiel narratif, elles deviennent des
moments éternellement suspendus. On s’éloigne d’autant plus du sujet qu’on atteint non pas seulement les
limites du visible, mais du dicible, les images se rapprochant plutôt de l’évocation, de la réminiscence, d’un
souvenir à peine ressurgi.


Mais il n’y a pas de perte de sens pour autant, car percer l’imager permet, au sens propre comme au figuré, de
ne pas rester à sa surface. Chaque image provient d’une recherche minutieuse opérée par l’artiste au préalable
sur notre rapport faussé à l’image d’histoire : portraits de héros restés anonymes, ou en marge de l’histoire
officielle, photographies prises lors d’événements précis mais utilisées à des fins autres que documentaires, images vidées de leur contenu politiquement subversif, ou encore des images vernaculaires suffisamment
indéterminées et familières à la fois pour qu’elles suscitent un début de projection fictionnelle…


Et s’il est difficile de situer l’histoire à première vue, et que les oeuvres nous offrent des images inlassablement
fortuites, c’est que ce sentiment d’impermanence des choses, de réécriture de l’histoire et de manipulation de
l’information dans un monde communicant est ce qui anime Valentin van der Meulen. Cette rhétorique visuelle
de la fragmentation parle des rapports de pouvoirs et de contrôle des masses et des individus. Mais par son
processus d’autodestruction - comme pour reproduire le mouvement de la pensée qui fait qu’on consomme
et digère les informations selon un cycle prédéterminé - ses images « altérées » mettent au jour le malaise qui
règne dans la perception de l’image, un malaise parfois déjà présent dans la captation d’origine.


Artiste du XXIème siècle, Valentin van der Meulen a digéré l’héritage de la « Pictures Generation » des années
1970-1980 - pour reprendre le terme développé par Douglas Crimp – qui rassemblait les artistes qui, inspirés
par les images des médias de masse qui tentaient de façonner la société, en élaboraient une critique en usant
des mêmes armes et rouages visuels pour détourner les normes et les stéréotypes. (Leur démarche, ainsi
basée sur la copie, ne recherchait plus l’originalité ou l’inédit qui guidaient l’art jusqu’alors. C’était aussi une
manière de contourner la recherche d’expressivité qui était attendue des artistes. Copier des images faites
pour fasciner ou susciter le désir était la meilleure façon de critiquer la manipulation psychologique mise en
oeuvre.) Dans son approche, Valentin van der Meulen réinjecte la possibilité d’accident dans l’oeuvre, le geste
aléatoire, la dissonance. Par le manque, la perte de sens volontaire, il s’octroie le pouvoir de délimiter la
frontière entre le visible et l’invisible, l’imaginaire et le réel, la vérité et l’artifice. Il s’agit de s’éloigner du discours
commun pour rentrer dans le récit polysémique de la sensation des choses, davantage que dans le récit pur
et simple. Le temps de la création n’est en effet pas celui de l’actualité. Et si les artistes ne produisent pas de
documents d’histoire, ils produisent des documents de mémoire tout aussi importants, qui seraient finalement
davantage du côté de la vérité.


Isabelle Bernini
Novembre 2023
Curatrice indépendante










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